Fateh Moudarress dans l’éloge funèbre de Said Tahsin
Notre collègue, l’artiste syrien Said Tahsin, a su capter l’essence des couleurs de Damas avec diligence, talent et un amour profond pour sa patrie. Lorsque je lui ai rendu visite chez lui, il y a plusieurs années, ses œuvres d’art ornaient les murs, et il a passé ses derniers jours entouré de ces créations silencieuses. Dans la plupart de ses œuvres, les couleurs dominantes reflètent la lumière de Damas à sept heures du matin dans les années 1950 et avant, ainsi que les teintes des lumières à six heures du soir, évoquant la civilisation orientale de l’ancienne Damas.
L’atmosphère de ses peintures résonne avec sa personnalité de coloriste, et certaines pièces sont imprégnées d’un parfum social urbain profondément enraciné que seul un natif pouvait vraiment saisir. Cette qualité unique a marqué le travail de Said Tahsin. Tout cet effort s’est déroulé à une époque difficile qui a contraint l’artiste à un silence sombre, enveloppé dans un voile d’éloignement spirituel.
Les beaux-arts sont un ajout intellectuel qui représente le visage beau d’un peuple, orientant les mouvements contemporains vers une noblesse démocratique dont l’être humain moderne a besoin, car ils garantissent une perpétuité honorable. Said Tahsin a quitté ce monde en regardant le pont qu’il avait traversé, rempli d’émerveillement.
Cette déclaration a été faite par Fateh Moudarress, doyen de l’Union des Beaux-Arts Syriennes et éminent peintre syrien de l’époque moderne, lors de la commémoration des quarante jours après la disparition de Said Tahsin. Cet événement s’est tenu sous le patronage de Dr Najah al-Attar, ministre de la Culture de Syrie.

UNIVERS DES ARTS Hiver 2024-2025 Thibaud Josset
Peintre majeur du Moyen-Orient, Saïd Tahsin bénéficie actuellement d’un renouveau d’études artistiques et historiques, bientôt concrétisé par une publication en deux importants volumes, l’un consacré à ses mémoires et l’autre à un catalogue raisonné. L’œuvre atypique ainsi que le parcours de cet artiste qui a laissé de nombreux documents derrière lui, attestant du poids qui fut le sien dans le monde arabe du début du XXe siècle, fournissent un puissant éclairage sur la culture picturale arabo-musulmane contemporaine.
L’œuvre peint de Saïd Tahsin ressemble surtout, pour qui cherche à voir par-delà les images, à une multitude de portes laissées entrouvertes sur un univers mental passionnant, celui d’une époque, d’une culture, d’une religion philosophique avant d’être politique, d’un mystère surtout, indicible vérité d’un homme qui à travers la peinture, sans relâche et à sa façon, aura dit ce qu’il estimait devoir être dit.

Une Vision Européenne Lucy Priest
Il est remarquable de penser qu’une seule personne ait pu explorer et exceller dans autant de styles, médiums et genres différents. Comment définir un artiste qui ne s’inscrit pas parfaitement dans les catégories traditionnelles de l’histoire de l’art occidental ? Est-il indispensable d’avoir un style distinctif pour être considéré comme un artiste ? Said Tahsin n’a jamais limité son art à un style unique, mais en a embrassé plusieurs, reflétant les différentes phases de sa vie. Il n’a jamais suivi de formation artistique formelle, préférant enseigner lui-même l’art. Son génie ne résidait pas dans l’adhésion à un style singulier, mais dans son talent exceptionnel d’artiste autodidacte. Il peignait, dessinait et esquissait à partir de ses propres expériences, de ses observations et de ses émotions, créant un corpus riche et varié.
Tout au long de sa vie, Said Tahsin a imprégné son art d’une riche palette de symboles. Ses premières peintures reflétaient simplement son environnement, mais avec le temps, son œuvre a évolué pour devenir de grandes représentations de ses convictions politiques, de son héritage culturel et de sa foi religieuse.
Dans son utilisation des couleurs, Tahsin montre une influence évidente de l’artiste français Paul Gauguin (1864-1903). Gauguin, lorsqu’il conseillait Paul Sérusier (1864-1927), incitait à rompre avec l’utilisation traditionnelle des couleurs, encourageant les artistes à représenter le monde avec les couleurs qu’ils percevaient…
En me posant devant cette huile sur toile de 45 x 30 cm, même pendant seulement quelques minutes, je peux presque entendre le doux bruit de l’eau qui coule et le chant lointain des oiseaux. Une sensation de calme et de repos m’envahit. Peut-être y a-t-il un léger sifflement dans une autre pièce ou le rire d’un enfant quelque part, hors de vue. Face à cette scène paisible, le temps semble suspendu, offrant un moment de répit dans le tumulte de la vie. Tahsin a capturé un instant simple et sentimental bien plus évocateur que n’importe quelle photographe.

Une vision Arabe Nour ASALIA
Tout au long de sa carrière artistique, Said Tahsin (1904-1985) s’est profondément engagé dans les causes humanitaires, ainsi que dans les événements historiques et politiques de son pays et dans l’héritage local de Damas. Le contexte historique suggère qu’une grande partie de l’inspiration initiale de Said Tahsin provenait de son environnement damascène. Bien que Tahsin ait adopté de nouvelles techniques européennes, telles que la peinture à l’huile et la toile, son œuvre demeurait profondément enracinée dans les traditions locales.
Bien que nous manquions de preuves définitives attestant de l’exposition de Tahsin à des mouvements ou écoles artistiques spécifiques par le biais de livres, certaines caractéristiques impressionnistes sont évidentes dans son travail. Cela inclut des touches de couleur et la pratique de peindre en plein air pour capturer la lumière naturelle et les changements saisonniers. Le style impressionniste de Tahsin, bien qu’influencé par des techniques européennes, était imprégné d’un caractère local distinct, reflété non seulement dans les éléments formels mais aussi dans l’adaptation des valeurs lumineuses au contexte environnemental local.
Dans ses mémoires, Said Tahsin se décrivait comme un « artiste classique », bien que son œuvre ait traversé le réalisme, le symbolisme, l’impressionnisme et le surréalisme. Ces termes sont davantage des descripteurs sémantiques que des catégories précises dans son cas, car il ne s’est jamais explicitement aligné sur un mouvement particulier ni exploré en profondeur ces courants dans ses écrits. Ses mémoires révèlent de nombreuses inspirations humanitaires et nationales qui ont constamment alimenté ses idées créatives. Ils offrent également un aperçu de ses méthodes artistiques et de ses étapes de production, mettant en lumière son souci d’harmoniser les éléments de couleur et de paysage avec sa vision de l’œuvre.
Nour ASALIA est diplômée du département de sculpture de la faculté des Beaux-Arts de Damas et de l’Université de Paris 8, chercheuse à l’École doctorale Esthétique, Sciences et Technologies des Arts sous la direction de Paul-Louis Rinuy.

Afif BAHNASSI
Said Tahsin a apporté une contribution significative et positive à la consolidation des fondations du mouvement artistique. Après avoir mené une vie de lutte aux côtés de ses camarades dans la résistance, il s’est entièrement consacré à son art. Refusant tout poste ou rôle qui aurait pu le détourner de son travail créatif, il a dédié son temps à la production de peintures remarquables. Ces œuvres reflètent à la fois la simplicité de la vie du peuple après les dévastations de la guerre et de l’occupation, et les luttes profondes d’une nation en quête de souveraineté et de dignité.
Évitant les influences occidentales, Said Tahsin s’est concentré sur la représentation de thèmes nationaux et folkloriques dans un style épuré qui se distingue comme l’une des approches les plus authentiques de son époque.
Un historien Syrien de l’art islamique et curateur d’expositions, Directeur Général des Antiquités et des Musées à Damas, en Syrie.